Vaillantes femmes
Marilyn a été élevée par une cohorte de femmes fortes et résilientes qui lui ont enseigné très tôt la valeur de l’autonomie. « Ma mère est morte quand j’avais 4 ans. J’ai été prise en charge par ma grand-mère et mes tantes qui m’ont installée très tôt devant la machine à coudre, possiblement pour apaiser l’enfant effervescent, voire turbulent, que j’étais. Selon elles, apprendre à crocheter, à coudre, ou à faire à manger, c’était apprendre à devenir “une femme vaillante”, non pas au sens où il fallait s’accomplir pour plaire à un homme, mais pour gagner son indépendance dans le travail ». Sensible au vécu de sa grand-mère qui fut pétrie par la traversée de deux guerres, Marilyn déclare sans détour que son appétit pour la réutilisation et l’économie de ressources constituent un précieux héritage. « La notion de gaspillage était impossible à réconcilier avec nos vies. De la pâte, des boutons, des textiles, des rognures de pommes, tout était récupéré. Récemment, je me suis souvenu qu'à 16 ans, j’ai fait une première courtepointe d’instinct, naturellement, sans vraiment savoir ce que je faisais, à partir des carrés de tissu des porte-documents d’échantillons qu’on envoyait à ma tante chaque saison (elle avait une entreprise de haute couture à l’époque)... Je ne pouvais pas concevoir qu’on allait les jeter… Ma meilleure amie du secondaire doit encore l’avoir à ce jour! », dit-elle en riant.


Crédit photo: Daphné Caron
De fille en aiguille
Forte de son parcours en couture, mais aussi en relations internationales et en administration, la jeune femme qui baigne dans le monde du DIY et de l’artisanat depuis déjà belle lurette est aussi profondément intéressée par l’entrepreneuriat. « Quand j’ai rencontré mon chum, je lui disais avec aplomb que j’allais avoir une entreprise artisanale, mais je ne savais pas encore quel serait mon médium. Ça s’est précisé quand j'ai déménagé en campagne, il y a 6 ans ». Nouvellement arrivée dans la région de l’Estrie, Marilyn s’est présentée au Cercle des fermières et a rapidement fait la rencontre de France Verrier, une courtepointière qui est devenue sa mentore, sa muse, de son propre aveu, sa girl crush. « Elle m’a enseigné tout ce qu’elle savait et je suis tombée en amour! Comme il n’existe pas d’école de courtepointe au Québec (seulement un cours de Cégep inséré dans un long cursus), c’était toute une chance de tomber sur cette opportunité de compagnonnage tellement enrichissante ».
Dans la transmission généreuse du savoir-faire des femmes, dans la réémergence et l’actualisation des techniques ancestrales, la famille toute féminine du Point visible s’évertue d’abord, comme son nom l'indique, à visibiliser le travail des femmes maintenu trop longtemps dans l’ombre de la sphère privée. « Dans notre histoire très patriarcale, beaucoup d’arts textiles sont restés des arts mineurs, parce que domestiques. Une façon pour moi de déplacer ça dans la sphère publique et de le valoriser, c’est de lui accoler un prix juste. Il faut prendre conscience qu’on n’a jamais rémunéré le travail des femmes à la maison et qu’on l’a toujours tenu pour acquis. Le chemin est long pour le faire reconnaître, mais il passe par l’éducation et l'appréciation juste d’un travail laborieux, dévoué et qui s’étale parfois sur plus d’une centaine d’heures par courtepointe ». Chaque œuvre est unique et vaut son pesant d'or parce que chaque geste compte.
La courtepointe comme véhicule
Polyvalente, multiforme, la courtepointe est avant tout une technique, s’appliquant à de multiples usages et pouvant s’actualiser virtuellement sans fin. Loin d’être embourbé dans un passé folklorique et culturel hermétique, c’est un art mouvant qui fait voyager dans le temps et l’espace. Marilyn, pleine d’un enthousiasme débordant, poursuit: « il y a tellement de populations qui ont développé la technique de la courtepointe dans le but de réutiliser les retailles, chacune avec leurs méthodes, leurs motifs traditionnels: c’est mondial et fascinant. Corée, Japon, Brésil, Inde, Syrie, et j’en passe. Dans ma pratique, je ne m'arrête pas aux influences nord-américaines. En ce moment, je me penche sur la Corée en me disant que j’ai trop de choses à explorer. C’est vraiment, vraiment cool », conclut-elle, exultée.
Loin des traditionnels damiers d’antan, Marilyn produit des pièces uniques, unisexes et intemporelles, dont les motifs sont inspirés par la nature et l’architecture. « J’adore le paysage de Bedford et de ses environs, les vieux bâtiments industriels, les vieilles usines ou les granges rustiques. Dans tous les cas, j’essaie d’identifier les éléments distinctifs de ce que j'observe et je les rends de façon assez minimaliste ». L’artisane possède effectivement un talent manifeste pour extraire l’essence formelle des objets qui figurent sur ses créations surpiquées. Son travail figuratif géométrisant résonne avec sa démarche globale, qui ouvre la courtepointe sur le monde, la dépouille de ses référents culturellement ancrés et nous rappelle à l’universalité toute réjouissante du médium. D’ici et pourtant d’ailleurs, Le Point visible aiguille notre regard, enfin, sur du très beau et du très grand travail.