BEGO: pousser l’ananas plus loin

La nature en héritage

Audrée plonge: « J’ai pas mal toujours su que je voulais être entrepreneure. Je ne savais juste pas comment le projet allait prendre forme. Lorsque j’étudiais en design au collège LaSalle, je m’intéressais à la mode écoresponsable, particulièrement aux matières recyclées et au coton biologique, entre autres. Je me rends compte que cet intérêt pour l’environnement et mon amour de la nature et des animaux, je les dois à ma belle-mère, malheureusement disparue en 2015 des suites d’un cancer ».

La jeune femme se rappelle avec émotion le souvenir de Blanca Estela Gaytan Olvera, femme sensible et courageuse, à qui le nom BEGO, composé de ses initiales, rend hommage. « Elle est entrée dans ma vie alors que j’avais 7 ans. Elle et mon père sont tombé.e.s en amour en chattant. Elle a quitté son Mexique natal pour venir le rejoindre et s’installer avec nous.

C’est surtout elle qui m’a inculqué des valeurs écologiques qui tranchaient avec nos habitudes de vie de l’époque. Dans les années 90, au Québec, se faire dire qu’il faut couper l’eau en se savonnant sous la douche ou en se brossant les dents, c’était assez marginal. En même temps, c’était une fanatique de mode; elle avait tellement de souliers…! Je pense que j’essaie de réconcilier toutes les facettes de Blanca dans ma compagnie », dit-elle en souriant tendrement. 

Porter ses fruits

Quand le frère d’Audrée lui a montré un article sur les innovations dans le domaine du cuir végétal, plus précisément sur le Pinatex, la créatrice a eu un déclic : « Je me suis plongée là-dedans, j’ai fait venir mes échantillons, j’ai étudié les applications possibles qui m’ont éloignée du vêtement et de tout ce que je connaissais. Comme j’étais en amour avec le matériau, on a construit l’idée de l’entreprise autour de ses propriétés et on s’est lancé.e.s dans la chaussure ».

Qu’est-ce que le Pinatex? C’est en fait un cuir végétal qui revalorise les déchets issus de la culture de l’ananas aux Philippines. La compagnie éponyme anglaise qui a breveté le matériau récupère donc le feuillage abondant autour du fruit unique produit par chacun des plants d’ananas, et le transforme en similicuir biodégradable et hyper résistant, épargnant ainsi les brûlis systématiques des feuilles qui génèrent des tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Même si Pinatex fait sensiblement voyager sa matière brute sur une grande distance, de l’Asie jusqu’en Europe, son transport demeure carboneutre, ce qui est très important pour Audrée.

Croissance organique

« Au début de l’aventure, je n’étais absolument pas connue; mes ami.e.s et ma famille m’ont acheté quelques exemplaires, mais je me rappelle ma première vraie vente à une inconnue: j’étais en voyage de type “sac à dos” en France et j’ai vendu une paire à quelqu’un que je ne connaissais pas! Je sautais de joie! Après ça, j’ai commencé à distribuer des exemplaires chez des influenceurs et influenceuses qui ont vraiment apprécié le confort et le design de BEGO. Ils et elles ont sincèrement vanté mes produits sur les réseaux sociaux, et ça a fait décoller une vague de bouche à oreille. La compagnie grandit sans cesse depuis, en s’adaptant à chaque étape ».

Audrée poursuit: « Au début, on faisait tout de la maison, au sous-sol et dans le garage. C’était intense. Au printemps 2022, on est passé à l’émission Dans l’œil du Dragon à Radio-Canada et ça nous a apporté une très belle visibilité. On a rencontré une clientèle qui n’est pas sur Instagram. On a tout de suite remarqué une hausse significative de la demande. BEGO a alors complètement envahi notre espace domestique. On faisait des commandes sur le comptoir de cuisine… avec mon fils de deux ans, mon chien et mon chat, ça ne fonctionnait plus ».

Nouveaux espaces 

Devant la montée de la popularité de la marque, Alex a gentiment encouragé sa conjointe à migrer vers un espace commercial consacré, pour que l’entreprise déploie ses ailes et que la petite famille retrouve l’usage précieux de leur maison. BEGO a donc déménagé dans un local à Saint-Hubert, sur la Rive-Sud de Montréal. Avec son espace boutique, ses bureaux et son entrepôt à échelle humaine situés à quelques minutes de chez elle, Audrée est désormais beaucoup plus à l’aise dans ses opérations. Depuis septembre 2022, elle peut aussi compter sur l’aide indispensable de Lio, sa complice et responsable des communications. « L’équilibre travail/famille, c’est mon absolue priorité. Je veux continuer à grandir, mais tranquillement. Je ne veux pas sauter d’étapes. Je veux garder ça simple comme entreprise. C’est important pour moi ».

« J’aimerais aussi que ça reste simple pour ma clientèle. Je veux garder le contrôle sur la distribution en vendant directement de ma boutique ou en ligne, assurant ainsi des prix plus bas parce que je peux réduire mes marges. Aussi, mes collections ne comptent pas énormément de modèles. Je conserve mes styles chouchous, des classiques que j’aimerais avoir dans ma garde-robe et qui perdurent au fil des saisons. Ça permet de s’opposer plus fermement au cycle effréné du fast-fashion ».

Selon Audrée, la simplicité, c’est en fait la clef du bonheur. Rien de moins. « Ma belle-mère croyait qu’il fallait diminuer le stress de nos vies autant que possible. Toujours vouloir plus, c’est insoutenable sur le long terme. À l’époque, je ne comprenais pas complètement ce qu’elle voulait dire, mais elle a eu raison de me mettre en garde contre le fait d’avoir hâte à quoi que ce soit, parce qu’avoir hâte, c’est déjà se faire arracher à son présent ». Audrée conclut, sereine, qu’elle préfère savourer calmement chaque étape du déploiement de son entreprise et surtout, de sa vie.