Crédit photo pour la bannière: site Web de l'Érablière La Grillade.
L’hiver s’incline, cédant progressivement sa place au printemps timide. Après des mois, cloîtré.e.s et au froid, les Québécois.e.s sortent doucement le bout du nez et s’aventurent dans les forêts fondantes, à la recherche de subsistance et d’un peu de lumière. Depuis 1868, la coutume centenaire de la cabane à sucre est reconduite, pour se rassembler enfin, jouir ensemble de la sève déferlante, réduite en sirop ou en pain de sucre roux, travaillée en beurre, en alcool fin et surtout, oh joie, en tire. Instant de grâce et de grande communion qui couronne le repas des sucres, la dégustation de la tire d’érable fait tomber tout le monde sous son charme gourmand. Comment résister à ces rubans somptueusement cuivrés, raidis par le froid, que l’on cueille à même la neige blanche? Comment ne pas fondre de plaisir dans ses bottes de caoutchouc, les joues rosies par le soleil de mars, alors que se dépose sur la langue, cette friandise souple et décadente? Même la texture un peu rêche du bâton de popsicle amplifie l’expérience, nous rappelant au bois des arbres, où tout commence.
Couler de source
Les Premières Nations, riches d’une compréhension holistique de leur environnement, connaissaient déjà les propriétés fortifiantes de la sève qui jaillissait des entailles pratiquées sur les érables à sucre du territoire. À l’aide de pierres chaudes déposées directement dans les réceptacles en écorce où était recueilli le précieux liquide, elles en épaississaient légèrement la consistance. La coutume voulait que l’on boive le visqueux liquide comme un tonique ou qu’on l’utilise comme lubrifiant oculaire, afin de combattre la sécheresse des maisons longues, relativement enfumées pendant l’hiver! C’est à l’arrivée des colons français, équipés de chaudrons de fer ou de cuivre, qu’on a pu réduire davantage la sève et confectionner du sucre d’érable. La naissance de la tire demeure imprécisément logée dans l’Histoire entre la période coloniale et la fin du 19e siècle, ou les premières « parties de sucre » commencent à avoir lieu, autour de 1868. Aujourd’hui, c’est sans conteste l’expérience archétypale de la cabane.


Crédit photo: site Web de l'Érablière La Grillade
Une histoire de famille
Pour quiconque s’est déjà régalé du traditionnel repas de cabane à sucre, il est clair que celui-ci n’est pas complet sans tire. C’est indiscutablement le clou du spectacle, le moment plus rassembleur, selon Guillaume D’Astou, de l’érablière éponyme. « La tire ç’a toujours été une histoire de communauté, de famille. Je me rappelle, quand j’étais petit, rouler mon bâton dans la tire pendant que mon grand-père jouait de l’accordéon ». Ce producteur acéricole de cinquième génération exploite son établissement de Saint-Damase en Matapédia avec sa conjointe et leur 5 enfants. « Les jeunes aiment tous la tire d’érable. Se retrouver autour d’un bac à neige c’est le moment plus typique de l'expérience de la cabane ». Il souligne du même souffle que le rituel saisonnier est fortement chargé de la symbolique du partage et de la communion. Même si on peut désormais se régaler de sirop d’érable à l’année, la cérémonie de la tire sur la neige au printemps conserve son caractère hautement saisonnier et coïncide avec la résurrection de la nature. « On ne va pas à l’église, mais la tire pis Pâques, ça va ensemble. “Pogner” le meilleur de chaque saison, c’est un peu ça, le miracle ».
Guillaume poursuit: « La tire, ça résonne avec des traditions québécoises, mais ça émerveille tout le monde. Je reçois plein de gens d’ici et d’ailleurs qui vivent leurs premières expériences à la cabane. Je pense entre autres aux Français.e.s qui capotent sur la tire. On leur montre comment faire pour rouler pis tout le monde trouve ça merveilleux. C’est vraiment l’fun de pouvoir rencontrer des gens, manger, rire, et partager. Que ce soit ta première ou ta 40e saison! Moi, ça me rend fier ». Guillaume semble particulièrement touché par la question du legs, du patrimoine et de la continuité desdites traditions. Il administre son érablière avec ses enfants en tête: « Tsé aménager la forêt, c’est 30-40 ans en avant. Ça force à penser à l’avenir. Je pense à mon plus vieux de 11 ans qui risque peut-être de reprendre l’entreprise avec ses frères et sœurs, qui sait. Je veux leur laisser une business solide pis une forêt en santé! ».
Car qui dit tire d’érable dit sève, et qui dit sève abondante dit immanquablement forêt vigoureuse. Aujourd’hui, avec les nouvelles techniques d'ingénierie forestière, on s’intéresse beaucoup à la biodiversité et à la santé des sols. « Y’a pas si longtemps on coupait tout ce qui n’était pas de l’érable pour maximiser la production. Pis chaque érable était beaucoup trop entaillé. Asteure, on comprend que pour pérenniser la culture, il faut intégrer du merisier, du sapin et j’en passe. Il faut rester souple, s’adapter, se modérer ».


Crédit photo : site Web de l'Érablière d'Astou
Se rejoindre par le ventre
Pierre Gingras, de l’érablière La Grillade située à Saint-Alphonse-de-Granby, abonde dans le même sens: « La culture de l’érable est une industrie traditionnelle qui se modernise progressivement pour durer dans le temps. Autant on s’adapte à la science qui propulse les nouvelles techniques d'ingénierie forestière, autant on s’ouvre aux réalités multiculturelles de notre époque, qui dynamise nos menus, nos propositions dans l’assiette ». Cet entrepreneur et acériculteur de 4e génération raconte avec enthousiasme comment ses établissements de restauration ont modifié leurs menus en accord avec les prescriptions alimentaires de certains convives végétalien.ne.s ou appartenant aux communautés culturelles. « On est vraiment contents de faire découvrir la culture de l’érable aux musulmans, par exemple. On crée des plats adaptés pour accueillir un maximum de monde pendant le repas. D’ailleurs, peu importe d'où tu viens, on se rejoint tous par le ventre! Tout le monde sur la planète a la dent sucrée. Le sucre, c’est une gâterie pour tou.te.s ». Or, c’est sans surprise que Pierre consacre la tire sur la neige comme le moment le plus marquant du repas. « Si tu demandes aux gens c’est quoi leur moment préféré, 90% vont te répondre la tire ».
Rieur, il poursuit: « C’est encore moi qui la fait, hein, après toutes ces années. C’est un produit difficile à travailler et à conserver. On commence avec un bon sirop qu’on va faire cuire jusqu’à la bonne consistance. Il faut prendre en considération plusieurs facteurs environnementaux pour réussir sa cuisson. Tout dépendant de la pression atmosphérique et du taux d’humidité, l’eau ne bout pas à 212 degrés Fahrenheit à tous les jours et ne s'évapore pas au même rythme. On utilise un thermomètre à confiserie pour atteindre et maintenir une température d’environ 234 degrés pendant 20 minutes. Après ça, on coule direct sur de la belle neige. Faut la manger sur le champ. C’est vraiment meilleur ». On est soudainement assailli par le souvenir d’une bouchée copieuse de tire tiède, allégée par la fonte immédiate de quelques cristaux de glace immaculée. La tire, c’est aussi et d’abord une histoire de neige.


Crédit photo: site Web de l'Érablière La Grillade
Ma Cabane à la maison
Pierre Gingras et son collègue Guillaume D’Astous s’entendent sur le fait que l‘emploi croissant des produits de l’érable par les établissements de restauration valorise énormément leur travail. Le sirop d’érable est intégré dans l’imaginaire, non plus simplement comme un produit de terroir, mais, de plus en plus, dans une perspective gastronomique et raffinée.
Dans la foulée de cet engouement, il est désormais possible de recevoir directement chez soi des boîtes-repas qui mettent en lumière le savoir-faire des passionné.e.s de l’érable. Alors que l’industrie de la restauration émerge avec difficulté de la crise pandémique, faisant entre autre face à une pénurie de main d'œuvre, on peut compter sur Ma cabane à la maison pour nous livrer à domicile ce que les érablières font de mieux. Délicieuse nouvelle: la plupart des options proposées viennent avec le nécessaire pour confectionner de la tire chez soi!! À défaut de patauger joyeusement dans la forêt cette année, c’est possible d’en convoquer une toute petite partie (la meilleure?) dans le confort de son foyer!
Bon temps des sucres à tout le monde!