Par Stéphane Desjardins
Agneau de Charlevoix, maïs de Neuville, vins du Québec, aliment bio, cidre de glace du Québec, fromage de vache de race Canadienne, Aliments du Québec… Ces labels sont-ils avantageux pour les détaillants? Oui, affirment des spécialistes.
Les consommateurs — surtout les amateurs de vins — connaissent le terme « appellation d’origine contrôlée ». Ce label centenaire a été introduit par des viticulteurs français qui voulaient contrecarrer la contrefaçon, notamment ceux qui produisaient le Châteauneuf-du-Pape et les vins des Côtes-du-Rhône. Depuis, le principe s’est étendu à la planète et à plusieurs autres produits alimentaires.
Chez nous comme ailleurs, les labels sont encadrés par une loi et gérés par des organismes privés, selon le principe des marques de commerce. Les producteurs qui veulent en apposer le logo sur leurs produits doivent se conformer à une réglementation inscrite dans des cahiers de charges et subir des inspections pour obtenir ou conserver leur certification. Le processus est rigoureux et exigeant.
Au Québec, le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV), un organisme public, encadre les organismes de certification (comme Ecocert Canada, Québec Vrai, Letis, Pro-Cert Organic Systems, Quality Assurance International et TCO Cert).
Les appellations sont avant tout liées à un terroir (l’ensemble de la production doit se faire dans une région précise), à une spécificité (une caractéristique du produit, peu importe l’endroit de fabrication), à un mode de production ou à une caractéristique recherchée par le consommateur.
Mais les labels représentent-ils une forme de protectionnisme et de nombrilisme culturel qui coûtent cher au consommateur ?
« C’est avant tout une question de valorisation du patrimoine et de traçabilité, explique Pascale Tremblay, PDG du CARTV. Les appellations offrent plusieurs avantages pour les entreprises et les consommateurs : elles créent un lien de confiance, une valeur ajoutée, car elles permettent de retracer et de justifier chaque étape de production. Elles moussent la fierté et la valeur emblématique d’un produit lié à un territoire ou un savoir-faire. »


Les labels participent donc au développement des territoires, à la richesse collective et à la valorisation du patrimoine, par des valeurs de transparence. « Avant que le maïs de Neuville soit certifié, il s’en vendait plus qu’il ne s’en produisait… explique-t-elle. Ça veut tout dire. Et l’agriculture biologique, qui célébrait ses 20 ans l’an dernier, est devenue un fleuron pour l’industrie québécoise », reprend madame Tremblay.
Dans la foulée de la Covid-19, les labels s’inscrivent justement dans les tendances de consommation qui marchent très fort. « En 1996, nous étions des précurseurs ; en raison de la pandémie, on a connu une très forte croissance », souligne Marie Beaudry, directrice générale d’Aliments du Québec, qui fête ses 25 ans cette année.
Pour apposer le logo d’Aliments du Québec sur son produit, un producteur doit adhérer à cet organisme et soumettre la recette du produit. Pour obtenir la certification « Aliment du Québec », 85 % du contenu du produit doit être transformé et emballé au Québec. Dans le cas de la certification « Aliment préparé au Québec », 85 % ou moins de ce contenu doit être transformé ici. Par exemple, on ne peut se contenter d’acheter de l’huile d’olive en Italie et l’embouteiller ici. Mais on peut importer des ingrédients d’ailleurs, comme du cacao, et les transformer selon des recettes et un savoir-faire développés ici.
Ça évolue
Ingrid Peigner, qui est directrice principale des partenariats et de la valorisation de la recherche au CIRANO, a signé en 2018 une étude sur la valeur de la certification et des labels du point de vue des consommateurs québécois.
« Ceux-ci sont de plus en plus sensibilisés sur ce qu’ils mangent, leur santé, l’impact de leur consommation sur l’environnement et le bien-être animal, dit-elle. Ils exigent donc davantage d’information sur les produits. Les labels répondent ainsi à leurs attentes. » Les consommateurs sont également fiers de consommer québécois et apprécient leur patrimoine alimentaire.
La certification donne donc de la respectabilité au produit.
« Les labels offrent davantage de traçabilité. Dans ce contexte, les acteurs de la chaîne alimentaire doivent s’adapter aux demandes des consommateurs, y compris les détaillants », dit-elle.
Et la traçabilité est plus simple à implanter avec le numérique, notamment par les codes QR, que défend madame Peigner. « Par exemple, en scannant ce code sur une boîte de sirop d’érable ou une pièce de viande, avec son téléphone, on obtient toutes les données du produit, dit-elle. Certains producteurs agricoles récoltent beaucoup de données, ce qui facilite la traçabilité. »
Et ça marche?
« On a connu une croissance importante cette année, confirme madame Beaudry. Alors que nous plafonnions à 1200 entreprises depuis des années, ce chiffre a grimpé à 1400 en quelques mois. »
D’autant plus que neuf Québécois sur dix considèrent que le logo Aliments du Québec est crédible, selon une étude Léger de mars 2020. Le taux de notoriété du label (pourcentage des Québécois qui connaissent la marque Aliments du Québec) est de 70 %, selon un sondage Omnibus/Léger de janvier dernier. L’organisme encadre plus de 23 000 produits différents. Par contre, le taux d’affichage du logo concerne environ 75 % des entreprises certifiées.
Selon le CARTV, en 2020, l’appellation bio concernait 3088 entreprises (comparativement à un peu plus de 1000 en 2007) et 10 759 produits certifiés ; ces chiffres seront certainement en hausse cette année. Le quart des vignerons québécois (soit 35 producteurs) était certifié « Vin du Québec » l’an dernier, et 65 % des volumes totaux de vin produit ici sont d’indication géographique protégée.
Pour les marchands
Les labels sont avantageux pour les détaillants alimentaires, soutient Denis Gendron, un consultant qui œuvre dans l’industrie depuis 40 ans et qui a travaillé pour une majorité de gros joueurs de la distribution alimentaire canadienne.
« Ça permet aux détaillants de développer des stratégies de communication pour informer davantage leur clientèle. Ils démontrent ainsi leur soutien aux efforts de respect de l’environnement, du bien-être animal ou encore de promotion de l'achat local », dit-il.
Avantage non négligeable selon lui : dans un contexte où le consommateur est très attaché au meilleur prix, la certification offre la possibilité de focaliser sur autre chose (notamment sur des choix de consommation davantage alignés sur ses valeurs), même s’ils sont plus chers.
La certification a aussi amélioré l’accessibilité aux tablettes des grandes bannières par les petits producteurs locaux, alors que certaines imposaient des frais exorbitants de mise en liste ou référencement. Plusieurs bannières ont abandonné ou modulé différemment ces frais pour encourager l’achat local, car la pression du consommateur est forte en ce sens, souligne monsieur Gendron.
Grâce aux labels, un marchand se rapproche de ses clients : « Nos décisions de consommation sont basées sur des croyances et des connaissances, explique Ingrid Peigner. En recevant davantage d’information, le consommateur comprend que le marchand l’aide dans ses choix. Qu’il est de son bord… »
Des problèmes
Le consommateur a ses contradictions. « Il n’est pas toujours disposé à payer plus cher, même si ses attentes sont élevées en matière de transparence, mentionne-t-elle. Les transformateurs hésitent alors à investir dans de coûteuses certifications qui se refléteront sur le prix du produit. »
De plus, même si 70 % des consommateurs québécois ont une confiance élevée envers les labels certifiant que les produits sont fabriqués au Québec, cette confiance tombe à 40 % s’il s’agit des méthodes de production (bio, sans OGM, traitement animal, etc.), selon une étude récente du CIRANO.
« Il y a une méconnaissance des mécanismes de certification au sein du public, dit-elle. Les autorités devraient inciter l’industrie à expliquer davantage pour mousser la confiance. » Et, selon elle, il est possible de le faire par quelques mots sur une affiche en magasin. Ou par une courte description sur le site internet transactionnel, qui constitue en ce sens une vitrine idéale pour les produits certifiés, selon elle.
Du flou
Il importe de le souligner : 70 % des consommateurs québécois trouvent parfois difficile de repérer un produit d’ici en magasin, confirme une étude réalisée en janvier par Léger pour Aliments du Québec. Pourtant, des outils existent pour les consommateurs, comme celui de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, que seulement 13 % des Québécois connaissent, et il s’agit essentiellement de ceux qui ont des allergies alimentaires.
D’autre part, il y a un flou autour des produits emballés ou produits chez nous. Des reportages ont souligné que certains producteurs ou importateurs en avaient profité en vendant des produits importés faussement étiquetés « Faits au Québec ».
« Les détaillants travaillent continuellement à raffiner leurs communications avec leurs clients, afin de préciser l’information donnée en magasin, souligne Denis Gendron. Or, l’industrie souffre d’une pénurie de main-d’œuvre et elle doit former adéquatement son personnel. »
D’autant plus que l’affichage sur les étiquettes, les affiches, les commères d’étagères (shelf talkers) et l’étiquetage près du prix des produits (très efficace), ce n’est pas donné, car c’est rarement automatisé. Ces stratégies de communication sont normalement intégrées aux programmes de commercialisation des bannières. Les détaillants s’y attendent, mais il faut tout de même de la main-d’œuvre pour les déployer en magasin. Et en plus des campagnes nationales, certains marchands créent leurs propres programmes d’encouragement de produits locaux : encore davantage de travail pour leur personnel.
« Les produits certifiés ont un avantage auprès des clientèles qui fréquentent les magasins d’aliments naturels ou les chaînes comme Avril, Whole Foods ou Rachelle Béry, car ça fait partie des priorités de ces chaînes de valoriser le bio ou les marques locales, reprend monsieur Gendron. Le défi pour les autres détaillants, c’est de faire savoir aux consommateurs qu’ils vendent eux aussi ces produits! »
Les appellations : un gage d'authenticité

